Si le Cap Bon est connu pour ses deux aspects fondamentaux : beauté du paysage et fertilité, agriculture et tourisme ; il n’en demeure pas moins célèbre par ses activités artisanales. Disons le tout de suite, le mot artisanat s’est chargé de dénotations réductrices, nous lui préférons le terme anglo-saxon : hand kraft, fait main. Doigts de femmes et doigts d’hommes sont ici en or. Un croisement du savoir-faire et de créativité, dextérité et imagination, le Cap Bon est le réservoir de la majorité des activités de l’industrie d’art dite artisanat.
Le travail de la main et de l’imagination, l’application et la créativité se traduisent, ici, par l’art de transformer des matériaux de bases des plus anodins, parfois menaçant sur le plan écologique, en œuvres d’art.
Des matières, tectoniques (argile, pierre) végétales (jonc, feuilles de palmier nain, alfa, lin et bois) ou animale (laine, cuir) ou minéraux (fer, cuivre) le tout se transforme, s’agence, se malaxe, se coupe, se sculpte, s’orne, se tisse, se frappe, se cisèle, se tourne, se brode, se peint et se sertie… quelle orgie de créativité ! Quel foisonnement de beauté !
Bref s’il y a un Musée de diversité et de créativité des métiers de l’art en Tunisie, il est bel bien au Cap Bon.
La poterie de Nabeul, les pierres taillées, de Dar Cahabane, la sparterie, le tressage d’alfa et des palmes à Menzel Horr et Somaa, la vannerie dans la région de haouaria, le tissage de Béni Khiar , la broderie et le Chebka à Nabeul et Hammamet et un peu partout dans le Cap Bon, la ferronnerie et d’autres métiers , comme la maçonnerie et le travail du cuir et du bois, font du Cap Bon le promontoire de l’émergence du beau.
Avec ses corporations artisanales de potiers nattiers, maçons, menuisiers et ébénistes, cordonniers et « babouchiers », peintres, sculpteurs sur pierre, avec ses brodeuses, et dentellières, ses cordiers, ses tresseurs d’alpha, ses fabricants de tamis, dalou et poulies de puits,le Cap Bon est la région artisanale de la Tunisie par excellence.
Si certains métiers ont disparu ou se sont rétrécis, les plus importantes perdurent et se développent en quantité comme en diversité, comme les arts du feu, la sparterie, le tissage, la broderie et surtout la poterie.
Depuis les années quarante, l’artisanat a été bien encadrée par la création du , dont le célèbre Pierre Lisse, historiens et amoureux des arts et de l’histoire en Tunisie était le promoteur. Ses études publiée et encore manuscrites et surtout son fonds de photos inestimable, nous donnent une idée de la richesse de l’artisanat du Cap Bon. » Résumait André Louis en ouverture de son livre sur les potiers de Nabeul, la richesse artisanale du cap Bon et en dresse un tableau éloquent.
Nabeul est la capitale de la poterie, à côté de Djerba et Moknine. Le rapport entre le Cap Bon et la poterie remontait à l’antiquité. Déjà à l’époque romaine on fabriquait à Néapolis des poteries aux lignes très pures : l’amphora dans laquelle se conservait les réserves d’huile, l’urna au corps largement arrondi, au col étroit, qui servait à rapporter l’eau de la fontaine. De nombreux ateliers à l’époque romaine fabriquaient des poteries aux lignes pures exportées dans toute l’Ifrikya sur des felouques cabotant le long des côtes de la méditerranée. De ces ateliers ne reste plus de traces, mais les fouilles ont mis à jour plusieurs tessons dans les régions de Nabeul, Sionville, Dar Châabane et Henchir Chôkaf ;
C’est à la fin du XVIs. que la poterie redevient une industrie fructueuse et accrue et l’art du feu est remis à l’honneur à Nabeul par des potiers venus de Djerba.
Attirés par l’excellente argile tirée des carrières anciennes, quelques familles ont émigré de Djerba. Jusqu’à une date récente, vers 1950, le quartier des potiers, dit guelta, lagune, est dit aussi ejjraybia, les djerbiens, et l’atelier dar jraba ou qallalal, en relation avec les autres potiers venus de Tunis. Encore un quartier dans la Médina de Nabeul s’appelle le quartier des Djerbiens.
Le quartier des potiers était installé, en petite cité artisanale à la sortie de Nabeul sur la route de Korba, actuellement transféré à côté de la zone industrielle à l’entrée de Nabeul sur la route venant de Tunis. Toutefois deux ateliers continuent à faire tourner leurs tours en face du marché central de Nabeul sur l’emplacement de l’ancienne guelta.
Les potiers tournaient à l’origine une poterie analogue à celle que les Djerbiens exécutaient à Guellala dans l’île de Djerba, une poterie en biscuit, dite Chawaât, Les modèles qu’ils façonnaient étaient tous utilitaires : jarres, plats, vases, marmites, gargoulettes, « plomb » pour filets de pêche…
Au début du XVII s. L’usage des vernis plombifères s’introduit à Nabeul, importés par les artisans andalous chassés d’Espagne lors de la reconquista. Parmi eux vivait à Tunis, un homme à la réputation de sainteté, Sidi Qacim al-Jalizi qui aurait été fabriquant de carreaux vernissés, les azulojos d’Espagne, d’où le nom zliz, donné aux carreaux de faïence.
La technique de vernis plombifère et le rustique décor, brun et vert sur fond jaune conservés intact à nos jours, date du XVII s. quelques années après l’arrivée des Djerbiens. Après Qallalin, les poteries dites de Nabeul, qui a commencé à s’étioler pendant les années quatre-vingt, est remplacée par d’autres couleurs qui attirent plus les touristes. Grâce aux efforts de la Délégation Régionale de l’Artisanat la poterie de Nabeul et même de Qallalin regagne le marché de nouveau et maintenant des œuvres d’arts commencent à réapparaître sur le marché.
La famille Kharraz, l’une des plus anciennes familles de potiers de Nabeul sont les descendants de ces émigrés espagnols. Leur nom semble dériver de « alcarrazaz » appellation commune de la gargoulette utilisée dans toute l’Espagne pour transporter et rafraîchir l’eau potable, exactement comme le dawraq nabli (gargoulette de Nabeul).
La poterie de Nabeul est une faïence commune obtenue par cuisson entre 800 et 950° des argiles naturelles de la région.
Les formes sont celles des poteries traditionnelles, elles reproduisent certaines poteries de Djerba, ou s’inspirent de poterie persane, voire même de poterie puniques. Les poteries artistiques puisent leur inspiration un peu partout avec des décors très rustiques. Ces décors utilisent des vernis et émaux, dont les formules et compositions s’apparente beaucoup à ceux des faïences de la première époque italiennes ou françaises du XVs.
Pour arriver à fabriquer une pièce de poterie, le potier de Nabeul passe par plusieurs étapes : l’extraction de l’argile d’une immense mine à l’entrée de Nabeul, le fameux ghar ettfal, la caverne de l’argile, la terre est livrée par grosse motte humides. L’argile peut être gras pou maigre. Alors commence dans l’atelier la préparation de l’argile avec ses étapes de triage et séchage, concassage, délayage, tamisage, raffermissement, malaxage et enfin le pourrissage quand l’argile est laissé malaxée au contact de l’air pendant plusieurs mois pour qu’il s’y produise une certaine fermentation.
Après de nouveau malaxage et pétrissage, commence le tournage. Le tour très rustique est semblable à celui dont se servaient les égyptiens 2000 à 3000 ans avant J.-C. Aujourd’hui le tour est électrique, mais les gestes du potier demeurent les mêmes.
Le potier commence au façonnage avec ses gestes habiles, puis il passe au « tournassage » pour donner à l’ébauche sa forme définitive se terminant par l’ansevage et puis le séchage.
Suivent la décoration et l’application des vernies après un premier cuissage. Généralement les motifs sont sommaires et les couleurs monotones.
C’est à la fin du XIX s. que la poterie artistique et la faïence vont atteindre leur âge d’or.
La sparterie, activité artisanale à base de matière végétale est pratiquée à travers, toute la Tunisie, Nabeul est sa capitale des nattiers.
La récolte des joncs, smar, était avant l’intervention du domaine public gérée d’une manière originale.
Les nattes qui couvrent les parquets des mosquées et des Mausolées des Saints, les entrées des maisons, les banquettes des cafés et comme isolation entre le lit et le parterre, et de parfaits tapis végétaux pour les travaux domestiques, séchage de couscous ou d’autres épices quand les nattes, couvertes de draperies immaculées sont étalées au milieu des patios ou sur les terrasses.
Les nattiers sont presque tous à Nabeul et au même quartier, le Rbat où s’étire la rue des nattiers.
Le travail du nattier se fait à domicile dans un atelier attenant à la maison à condition qu’il soit humide. L’atelier du nattier est souvent une grande pièce voûtée surmontée de soupente pour démultiplier l’espace.
La préparation des joncs est une opération qui nécessite un savoir-faire et une patience. D’abord le séchage à l’ombre et à l’abri de la pluie, sinon elles cassent ou pourrissent. Ensuite les joncs sont triés selon les teintes, la taille et le calibre pour assurer l’homogénéité de la trame et l’unicité tinctoriale de chaque pièce. Puis le nattier s’applique à teindre les joncs d’ornementation qui assurent les motifs et les rayures avec des couleurs naturelles d’origine végétale, généralement la garance et les écorces de grenades. Chaque nattier garde un secret pour réaliser ses teintes qui font sa célébrité.
L’année 1942 a connu la fièvre de production des nattes, l’armée allemande passa une grande commande pour le couchage de ses troupes et l’on introduisit la teinture chimique et d’autres couleurs par les produits de Ciba, Zondoz et Francolor.
Le métier et l’outillage n’exigent aucun capital le métier dit « noul » est fabriqué par le menuisier du coin. Un adage dit : « Le métier du pauvre donne le tapis du pauvre ».
Les ateliers, souvent attenant à la maison, sont signalés par des bottes de joncs dressés devant le seuil, jaune, vert, bordeaux et bleu violet. On étend à l’entrée de l’atelier, lumière oblige, les métiers horizontaux à peine surélevés. La trame est formée par des cordelettes d’alfa, ce qui donnait aux nattes une forme grossière et épaisse, l’introduction des fils en chanvre a permis non seulement la fabrication de nattes fines, mais d’autres objets en jonc bariolé : des cartables, des étuis à cigarettes, des paniers, des sets de tables et même des poufs et des dessus de chaises longues.
Le tissage se fait à deux ou à trois quand la natte est très large et le silence est roi. La dextérité des nattiers est manifeste et la concordance des mains démontrent d’un savoir-faire séculaire que l’on passe de père en fils.
La décoration se fait selon des motifs anciens de formes pures, comme sur les tapis, une sémantisation d’objets usuels, d’animaux et de fleurs, qui confèrent aux produits une ornementation nécessaire à leur commercialisation.
Les nattes sont vendues aux marchés du vendredi à Nabeul, et sur les autres marchés du pays, comme à Djerba et Gabès, leur commerce est souvent couplé avec le commerce de la poterie, comme on le constate au Souk de Sidi Mahrez à Tunis.
Malheureusement la déferlante des objets asiatiques en plastique fait envahir le marché, et l’on trouve aujourd’hui des nattes tissées dans des joncs en plastique qui sont même fabriqué en Jordanie.
L’autre activité de la sparterie est l’ouvrage de l’Alfa.
L’alfa pousse dans les régions des steppes entre Sidi Bouzid et Kasserine, elle est utilisée pour fabriquer des paniers servant aux activités agricoles, gros couffins pour la transport des fruits et légumes, des paniers plats pour éventer les céréales et arachides spécialité de la région, d’énormes bissacs, chargements des mules et surtout les scurtins nécessaires au pressage à froids des olives demandées par les huileries. Maintenant avec la multiplication des plages, les parasols sont formés de structures en bois couverts d’énormes nattes circulaires en alfa. Dar Chaabane et Hammamet conservent cette activité qui est menacée de disparition car les artisans sont presque tous sexagénaires.
Les couffins sont fabriqués A Somaa, Korba et Menzel Horr. Récupérées sur petits palmiers nains les folioles sont séchées, striées et tressées finement en bandes pour fabriquer couffins, sacs et chapeaux. De petites nattes ovales pour la prière individuelles, sajjada, sont aussi fabriquées dans ces localités, et ornées de palmes teintes comme les joncs des nattiers.
Le Costume traditionnel se perd dans tous les villes et villages de la Tunisie. Si quelques femmes conservent jalousement un costume de mariage hérité d’une grand-mère ou une tante proche, il n’existe guère de femmes qui confectionnent, comme antan, leur propre costume. Exceptions faites de trois régions Mahdia, Raf Raf et le Cap Bon. Les femmes du Cap Bon, en ville ou à la campagne redoublent de dextérité, de talent de patience et de créativité : tour à tour mère, jeune fille au foyer, la femme au Cap Bon participe au travail des champs assure la maintenance domestique et trouve aussi le temps pour fabriquer, fil par fil, point par point, son costume de mariage ou de cérémonie. De vrais œuvres d’art.
Le costume de la marié et son trousseau furent totalement confectionnés par la futur mariée aidée par sa mère, ses sœurs et ses voisines et dure parfois des années.
Jusqu’à une date récente, tout le circuit de la confection du costume est assuré par les femmes, excepté le tissage sur le métier, qui est réservé à l’homme.
De la toison à la broderie les femmes assurent tout : laver, carder, filer la laine dessiner, broder jusqu’à la fabrication des boutons et des galons.
La dentelle n’est pas du reste, hérité des andalous qui ont introduit en Tunisie cet art, le fameux ricamou, qui le Cap Bon en a su conserver la fabrication.
Les nappes, serviettes, literies sont brodées aussi par les femmes.
Le trousseau de la jeune fille, réalisé par des femmes gardiennes de la tradition, comprend toujours plusieurs pièces tissées et brodées : des tuniques et tuniques-chemises, courtes, longues, amples et droites. Les gilets, les drapés-robes en laine ou en soie sont réservées aux femmes mariées.
La variété des tissus, laine, soie, coton, lin, velours s’ajoute à la richesse des matériaux : fil d’or, fil d’argent plat, paillettes, cannetille, galons, galons, boutons, broderie, dentelle mécaniques ou faite à la main, rubans et rosaces. Ils entrent tous dans l’ornementation du costume féminin du Cap Bon.
Il est rare de trouver au Cap Bon et notamment à Hammamet et Nabeul, une famille sans « gorgaf », ce fameux métier à broder en bois blanc instrument autour duquel s’organise le travail de la brodeuse. Ce métier n’est jamais libre, toujours occupé par un vêtement en cour de confection.
Le costume passe par plusieurs étapes, le trousseau est composé de plusieurs pièces dont la coupe varie très peu. D’abord la couturière, opère à la coupe dans des tissus divers, arrive la « rassama » qui dessine les motifs. Des motifs qui vont du linéaire aux modules très variés et imagés. Lignes droites, brisées ou ondulées, tiges accompagnant fleurs et feuillages, des points et des étoiles ainsi que des motifs végétaux et floraux. Motifs géométriques et symboliques s’ajoutent d’autres éléments prophylactiques, tels la main et le poisson.
Le décor est complété par des galons en fil d’argent et de soie, et de boutons fabriqués par des spécialistes.
La vaste panoplie de costumes traditionnels au Cap Bon dont le plus riche et le plus varié est celui de Hammamet et puis Nabeul se compose de plusieurs pièces les une plus belle que les autres. Au centre de la médina de Hammamet se dresse un sympathique Musée de costume masculin et féminin et présente la majorité des pièces souvent rares.
Une autre variété de produits de broderie sont confectionnés à la main et le plus souvent à domicile : nappes, serviettes, couvre-lit, coussin sous-vêtements tous brodés selon le point de croix appelé dans tout le pays ghorzat Nabel, le point de Nabeul. Pour lutter contre la disparition de ce genre de broderie, une nouvelle Dar Maallama, l’atelier de la patronne brodeuse, est ouvert à Nabeul encouragé par la Direction Régionale de l’Artisanat pour que la description de Pierre Lisse en 1950 reste vivace. Voilà comment ce chercheur infatigable et directeur de l’artisanat à Nabeul qui nous laissé des dossiers complet sur l’artisanat au Cap Bon. « Dans l’ombre fraîche de la sqîfa (vestibule) d’entré ou le calme d’une courette intérieure aux murs fréquemment blanchis à la chaux, de jeunes brodeuses demeuraient des journées entière penchée sur leur métier. Elles rêvaient au jour tant attendu où elles auraient la fierté de se monter à leurs amies et à leurs fiancé, parées comme des reines de légende ou de princesses byzantines ».
Le costume au Cap Bon comme on l’avait dit nécessite le savoir-faire de plusieurs femmes, chacune assurant une étape de la confection du tissage de la laine, à la teinture, au traçage du dessin, rchima,à la broderie, triza et enfin à la couture, tahrij
La panoplie est composée de Kisawa Kbira, traditionnelle tenue de mariage, le Kaftan, tunique ample, la Jebba matrouza, une tunique brodée, Jebba akri, tunique bicolore noir et rouge, le Kadroun, et puis la Souria et Séroual, chemise et pantalon, le Boustou, soutien-gorge brodé, la Kmajja, tunique en bandes de soie brodée, la Farmla , gilet brodé, la Taguilla , sorte de coiffe et le fameux Tmak , chaussure également brodé.
Le tout est valorisé par une panoplie de bijoux traditionnels.
La Tunisie est le pays où les frontières sont des fleurs, disait Colette. A-t-elle écrit cette phrase après sa visite au Cap Bon ? Toute pousse à le croire. Au Cap Bon les fleurs sont le sujet d’un soin particulier. Les plus vénérées sont les fleurs d’orangers, en fait se sont les fleurs des bigaradiers que les habitants du Cap Bon affectionnent, elles les leur rendent bien. Ces fleurs appelées, zhar, littéralement la chance, sont une véritable chance. Une aubaine en fait : médicale, économique, culinaire et une vraie occupation printanière des femmes.
Si les habitants de la capitale se contentent d’un pot où ils élèvent un basilic, ceux de l’Ariana un rosier ; ici presque chaque demeure plante des bigaradiers à l’intérieur de la maison ou devant les demeures. Le promeneur de la deuxième moitié du mois de mars ne doit pas s’étonner de voir les ménagères juchées sur leurs échelles traquant les dernières fleurs. La fièvre des fleurs d’orangers s’installe au Cap Bon pendant les quatre semaines qui suivent l’entrée du printemps le 20 mars.
Il faut dire que ces fleurs sont en fait l’or blanc du Cap Bon.
La distillation des fleurs d’orangers, apparemment introduite par les Andalous après la chute de Grenade est une activité para-agricole, domestique et industrielle. Elle commence avec le printemps et son produit, l’eau de fleurs d’oranger, accompagne les habitants du Cap Bon toute l’année.
L’art de distiller se transmet de mère en fille. Le dosage, le temps de chauffe, et les gestes séculaires sont hérités. La ville de Béni Khiar, est la capitale de la distillation, son emblème est la fameuse fiasque, la fachka, reconnaissable à son corps bombé et choyée par les futures mariées qui les affublent de différents atours rivalisant d’ingénuité et créativité .
Chaque famille garde jalousement son alambic, de l’arabe al inbiq, qu’on ressort à la mi-mars, on le bichonne, monte et remonte. L’alambic du Cap Bon diffère de celui proposé par les ferblantiers des autres villes. Il est formé d’une très grande marmite (qazan) en cuivre pour les familles aisées, en terre cuite, pour les moins fortunés, on rencontre même des demi tonneaux en tôle récupérés, mais le haut, le mkab, en forme de dôme est toujours en poterie poreuse, le tout muni d’un embout qui s’effile pour se terminer à la taille du goulot de la fiasque, et traverse un énorme pot, mahbes, plein d’eau froide que les femmes renouvellent au gré des réchauffement dans des gestes gracieux et experts.
Le dosage, le temps de cuisson, le refroidissement sont des secrets mignons que les femmes se transmettent de génération en génération.
Le dosage est le même, la wazna, la pesée est toujours de quatre kilogrammes qui donne deux fiasques d’eau de fleurs d’orangers de première catégorie et deux autres de moindre qualité. Le produit le plus recherché sont ces gouttelettes visqueuses qui flottent au-dessus de l’eau distillée au goulot de la fiasque et que l’on récupère précautionneusement par une seringue, l’essence des fleurs d’orangers le fameux « néroli », tant recherché par les parfumeurs et qu’on appelle poétiquement rouh ezhar, l’âme de la chance, en fait l’âme de la distillation.
L’eau des fleurs d’orangers est gardée jalousement dans ces fameuses fashka, dont le prototype générique est engoncé sur un support plastique. Les femmes portent le plus grand soin à leurs fashka, d’habitude couvertes de raphia ou de jonquilles elles leurs tissent des housses en diverses matières, les une plus jolies que les autres en les affublant de jolies atours en dentelles, papiers argentés joliment découpé. La fashka fait partie de la trousse de mariage.
On ne cesse d’insister sur les bienfaits de l’eau des fleurs des bigaradiers. Eau apaisante contre la fièvre, la bronchite et le coup de soleil. Elle entre dans plusieurs préparations pharmaceutiques vernaculaires ou industrielles. Dans l’art culinaire elle est indispensable pour le couscous au poisson, le gâteau et le filet d’eau de fleurs d’orangers est le nec plus ultra pour le café turque.
La distillation industrielle s’est développée dans la région, elle absorbe les deux tiers de la production de fleurs de bigaradiers pour obtenir l’eau essentielle destinée à l’exportation et dont la Tunisie en exporte de 700 à 750 kilos pour les parfumeries de la haute gamme dont la « néroli » est devenu indispensable pour les grands parfumeurs comme Guerlain qui ne rate pas la saison chaque année.
La Tunisie est le 35ème pays exportateur de l’huile essentielle de fleurs d’orangers.
D’autres plantes sont distillées : rosiers, géranium d’Andalousie, atrchia, et des plantes forestières à vertus médicinales qui ont vu le jour avec la production du miel dans le cadre de programmes de développement durable concernant les femmes rurales comme à l’Oued El Abid sur la côte Ouest du Cap Bon.