L’Architecture-Authenticité et modernité
Les habitants du cap Bon sont connus pour leur rapport à l’architecture, Bâtisseurs et artisans, ils ont su conjuguer l’art de bâtir au foisonnement de l’imaginaire dans la décoration.
Les meilleurs maçons du pays sont originaires du Cap Bon. On se les arrache partout.
C’est ainsi que le Cap bon présente un vrai catalogue architectural de la Tunisie. Entre architecture vernaculaire, style arabo-islamique, coloniale dite arabyzance, moderne, le catalogue architectural du Cap bon est riche. Après l’explosion du tourisme, une expression de l’inventivité des jeunes architectes tunisiens se voit dans l’édification des hôtels, villas de maître et complexes touristiques.
Cinq catégories de style architecturaux s’entrecroisent à travers le même espace urbain et parfois dans la même bâtisse : architecture antique, locale, musulmane, coloniale et contemporaine ; Ensemble, tracent le profil de l’urbanité et la structure de l’urbanisme; la fonctionnalité de l’espace extérieur ou intérieur, privé ou commun.
Même les habitations des espaces ruraux, ces points blancs qui scintillent de très loin à travers la verdure des campagnes, habitat privé privés ou sanctuaires spirituels, tous conservent un caractère vernaculaire spécifique, dite ghorfa, avec des voûtes et coupoles, chaulées et aux lignes d’une simplicité déconcertante, reprise aujourd’hui dans les demeures de maîtres et même à travers les modules des bâtiments touristiques et public. La ligne, le point, l’arc, le cercle, le blanc et la lumière.
Le Cap Bon a su sauvegarder cet art de l’édification des voûtes et coupoles dont l’origine remonte, dit-on, aux calculs des mystiques. Voûtes et coupoles spécifiques aux villages berbères des montagnes du sud tunisien qui ne nécessitent ni poutres, ni échafaudages. Tracées à l’œil les toits sont voûtés par le simple torchis, ou briques et un simple mortier à la chaux.
L’art de sculpter les pierres ne s’est maintenu depuis l’antiquité et son développement pendant la période hafside n’est resté vivace que dans cette région, en témoigne les centaines d’ateliers de taille et sculpture des pierres de dar Châabane éponyme de cet art.
Les carrières su Cap Bon, particulièrement à Haouaria ont fourni à la majorité des sites puniques et romains les pierres de taille et en grès pour les édifices dont certaines ont échappé aux vicissitudes du temps et témoignent encore de cet art de bâtir et dont le Cap Bon était le pourvoyeur en matière première.
Le travail du bois est ici séculaire, proximité de Sicile qui fournissait le pays en bois noble. Des villes entières sont aujourd’hui connues par le fourmillement de leurs ateliers de menuiserie et ébénisterie tel Kélibia, Menzel Témime et Hammam Laghzaz.
La ferronnerie qui n’était qu’une activité liée à la vie agraire et la forgerie des charrues, herses et autres instruments, a connu une mutation pendant les dernières décennies vers la ferronnerie d’art. Ce virage artistique a fait de Nabeul et Hammamet un centre de création de ferronnerie dont les produits s’exportent à l’intérieur et à l’extérieur du pays.
L’art de la faïence, manuel et artisanal, puis industriel s’est développé avec la poterie au Cap Bon pour devenir la spécificité et le monopole, par sa production son exportation, à travers la région.
Le Cap Bon est donc devenu le centre fournisseur des matériaux de base pour l’ornementation architecturale à travers le pays. Façades en pierres sculptées de Dar Châabane et en faïence de Nabeul sont visibles partout sur les façades des demeures à travers les villes du pays.
L’architecture punique dans son grand bonheur est visible à Kerkouan, ville abandonnée après la chute de Carthage, l’architecture romaine l’est aussi à travers une multitude de sites comme à Néapolis (Nabeul), Pupput (Hammamet) et Ain Toubournouk.
Dans la ville punique le schéma de l’habitation est celui de la maison à cour centrale, importé de la Mésopotamie vers les rives de la Tunisie et toute l’Afrique du Nord par les phéniciens. Même réduites, la maison punique, comme on le voit à Kerkouan, est bien équipée : chambres ornées, salles de bain, puits et évacuations des eaux usées. Fait étonnant, cette structure est encore la même dans les maisons du Cap Bon, au sein des villes et aux villages les structures des demeures sont similaires: une cour centrale, le fameux atrium des romains, patio la wastia autochtone, autour de laquelle s’ouvrent et s’agencent les pièces et commodités en fonction de l’orientation du soleil et du vent. L’ornementation est presque la même depuis l’antiquité et ce selon l’usage de chaque pièce en hivers ou en été, pour dormir ou travailler, la cuisine ou le magasin, réduits pour animaux et sanitaires. Souvent un atelier est attenant à la maison.
Les modules architecturaux locaux sont curieusement conservés au Cap Bon, alors que ces modules locaux qui remontent aux libyques sont l’apanage des villages des crêtes berbères au Sud tunisien.
Mais la toponymie assure cette continuité, Tazoghrane, nom typiquement berbère, révèle l’architecture locale et vernaculaire dans ce village qu’on dirait transporté du Sud et incrusté sur les flancs des plateaux ou vient dégringoler Jebel Abderrahman.
A l’intérieur des villes comme Korba, Kélibia, Menzel Témime, si l’on scrute les bâtiments au centre des villes, envahis par le ciment d’aujourd’hui, on rencontre ce style en voûte, dit ghorfa.
Architecture pauvre en composants, mais riche en pureté des lignes et en fonctionnalité, ergonomie, hygronome, et en gestion de l’air et de la lumière. Pas d’éléments sculptés, a part l’encadrement des portes en pierre de taille ou sculptée, juste un assemblage de murs en petits moellons couvert d’une épaisse couche d’enduit de chaux, irrégulier, le tout surmonté de coupoles, voûtes et terrasses plates sur des planchers en troncs d’arbre.
Cette architecture locale sera développé avec l’arrivé des Musulmans et surtout après la fondation de Kairouan, c’est l’installation de l’architecture islamique.
Bien que les villes romaines, vandales et byzantines vont péricliter, à côté s’érigeront des villes qui vont d’ailleurs souvent emprunter leur appellation antiques, approximativement arabisées, Nabeul pour Néapolis, Kélibia, pour Clipea, Korba pour Curubis etc., ou inventer d’autres noms comme Hammamet érigée au Nord de Pupput et parfois totalement disparaitre comme Manzel Bachou qui fut la capitale de la région au moyen âge.
Le concept architectural islamique s’imposera, soutenu par l’arrivée des turques et surtout les andalous avec une richesse moahade apportée par les hafsides.
La Médina est un prototype partout dans le monde arabe, dont le Cap Bon garde deux spécimens, Nabeul et Hammamet et quelques bribes, comme à Soliman et Menzel Bouzalfa autour des mosquées centrales. La Médina est partout en Tunisie un prototype, son organisation urbaine est tracée comme la rose des vents. La Mosquée du vendredi, Grande Mosquée au centre (Nabeul et Hammamet), entourée des souks, médina agencée en cercles concentriques fuyant la mosquée selon les odeurs, la propreté ; les plus polluants sont relégués sous les remparts qui forment une enceinte à travers lesquelles sont percées des portes souvent orientées vers les grandes routes desservant la Médina. Les lignes de fuites forment des rues, placettes et impasses aux murs souvent aveugles recelant jalousement des richesses à l’intérieur. Les mosquées et autres édifices publics, hammam, koutteb (école coraniques) et marchés utilisent les pierres de tailles, récupérant, colonnes antiques en les agencent selon les concepts architecturaux orientaux empruntés à des villes comme Damas et Bagdad.
Les anciens sites antiques épuisés en tant carrière à ciel ouvert, les pierres prêtes à l’utilisation seront désormais utilisés parcimonieusement seulement pour les façades comme encadrement de portes d’entrée ou donnant sur cour. Des colonnes et chapiteaux locaux apparaissent après épuisement de ceux récupérés sur les sites antiques, comme ce célèbre chapiteau encore taillé aujourd’hui en fleur de lys dit artichaut qui remonte probablement à l’époque hafside devenu le prototype des chapiteaux des ateliers de Dar Châabane.
A partir du XVIème siècle, nous verrons des traces andalouses et turques apparaître sur les édifices publics et privés. Les tuiles vertes, aujourd’hui produite en quantité au Cap Bon déclinée aujourd’hui en jaune, bleu ou violet, ainsi que les carreaux de faïences introduits par les andalous initiés par leur maître Sidi Aboulkasem Jellizi et ensuite par des familles comme Kharraz. Ainsi la faïence dite de Qallalin de Tunis est introduite dans la région et s’installe à Nabeul pour prendre la place de ceux des ateliers de Tunis presque tous disparus pour que le Cap Bon devienne aujourd’hui le centre presque unique de la fabrication des carreaux de faïence, et surtout ces fameux tableaux exportés même aux Etat Unis et dont les plus célèbres ceux qui ornent la Maison du fondateur de la fabrique de rasoir Gilette fabriqués par les frères Chemla. Il n’y a pas un vol d’avion qui ne porte pas un tableau de faïence de Nabeul pour décorer véranda et terrasse à l’étranger.